jeudi 27 avril 2023

Le Sacrement du Frère

 

                        

Les pèlerins d'Emmaüs  par Greg Olsen

 

Parler sacrement c’est supposer un lien entre une réalité sensible et un univers autre, pour nous invisible. En ouverture de l’une de mes expositions de poèmes illustrés « approche de l’invisible », je présentais la poésie ainsi « Une tâche de la poésie est de voir au-delà du réel, de traverser la matière, de trouver un sens aux apparences ». Ce peut être aussi le cas de toute œuvre d’art, de tout travail de recherche qui nous ouvre un espace insoupçonné de contemplation et de compréhension. Ce fut pour moi le cas de l’hébreu et de sa vocalisation ; je reprends un texte écrit sur ce sujet en 2019 :

« La matière première de l’hébreu ce sont les consonnes au nombre de 22. Seules elles sont inaudibles. Pour être animées elles ont besoin des voyelles ; trois d’entre elles vont être utilisées pour donner naissance aux sons et ces trois consommes sont celles du tétragramme qui nomme Dieu, ce mot que l’on ne peut prononcer (YHVH traduit par Yahvé). Dieu l’invisible, le Tout-Autre, l’Innommable, apparaît ainsi comme matrice du monde créé, comme l’âme de ce monde, qui sans lui ne pourrait être. Dieu se glisse dans le monde créé, donne la vie et en même temps se cache à notre regard. Dieu fait exister le monde mais se cache en lui. Seule la création permet de soulever le voile de Dieu. Et c’est le rôle du poète ou de l’artiste de soulever ce voile, de souligner la Transcendance présente dans l’épaisseur du créé. Et de l’offrir sur les places. »

Ainsi on peut dire que la création est sacrement de Dieu, que le visible est ouverture sur l’invisible.

Une question se pose : pourquoi Dieu se cache-t-il ainsi ? Pourquoi est-il sous-jacent partout sans pour autant le voir ? Même si l’homme est créature de Dieu, il y a un tel écart entre l’homme et Dieu que, si Dieu se manifestait à lui tel qu’il est, l’homme ne pourrait survivre. Par ailleurs pour que le monde soit et ait une existence propre, il faut que Dieu se retire de sa création, qu’il se cache, et ce fut cette grande aventure de l’humanité faite de refus, d’alliance, de rejet qui se rejoue avec chacun de ses membres encore aujourd’hui. Aussi la seule relation possible avec Dieu est celle de la foi. Même si Dieu peut se manifester parfois à nous plus sensiblement, cela demandera toujours un acte de foi, que nous avons à répéter chaque jour.

Ainsi nous ne sommes pas surpris que Dieu s’incarne dans notre monde par le biais d’un petit enfant (Luc 2,1-21), dans des conditions de précarité rappelant celles des réfugiés, au lieu de prendre l’apparence d’un roi puissant comme l’espéraient les contemporains de Jésus. C’est toujours le Dieu caché, le Dieu qui déroute, le Dieu qui renverse nos raisonnements, nos certitudes. Mais cette incarnation discrète a une portée immense. Jésus, notre frère en humanité, devient le frère de tout homme, de toute femme ; il est le frère universel. L’incarnation du Fils de Dieu est comme une mutation pour l’humanité, la réception d’un gène divin qui va rendre Jésus présent en toute personne et ce qui nous permet de le servir en servant nos frères. Présence immanente de Jésus en tout frère humain.

Après sa résurrection Jésus affirme qu’il est présent quand deux ou trois sont réunis en son nom (Matt 18,20), spécialement dans la prière. De même il affirme en quittant ses disciples qu’il sera avec eux jusqu’à la fin des temps (Matt 28,20). Cela nous fait dire que chacun peut être sacrement de Jésus pour ses frères et que Jésus est présent dans le frère. Si le pain eucharistique est la nourriture du pèlerin pour la route, le sacrement du frère est présence de Jésus à nos côtés d’une façon aussi réelle que dans le Saint-Sacrement. Quoi de plus vrai puisqu’il nous dit «demeurez en moi comme je demeure en vous » (Jean 15,4).

La vie chrétienne n’est pas une vie selon une morale évangélique, la vie chrétienne est une vie avec le Christ. Chez le chrétien, transparaît le Christ. Saint-Paul dit :«Avec le Christ, je suis un crucifié ;ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Gal 2,20), moi qui dois aimer les autres comme il nous a aimés. Le Chrétien, éveillé à cette présence du Christ, vit dans la foi l’espérance de cette présence et vit cette proximité humblement comme une créature recevant tout de son créateur. Et chaque jour il se nourrit de cette réalité de Jésus disant «Je suis le chemin, la vérité, la vie » (Jean 14,6), chemin de joie à la mesure de cette vie nouvelle qu’il laisse grandir en lui. Cette proximité de Dieu par Jésus, avec Jésus, en Jésus est déjà cette vie éternelle dont nous faisons l’apprentissage ici-bas. Notre condition humaine, dont la trame est parsemée d’embuches à traverser, de divertissements à dépasser, permet de grandir en foi dans cette connaissance de Dieu, ce qui sera pour nous plénitude quand nous le verrons face à face, au de-là du passage sur l’autre rive, et chantant :

                                             Gloire à Dieu au plus haut des cieux

                                  Et paix sur la terre pour les hommes ses bien-aimés

                                                                  (Luc 1,14 – traduction TOB)



                                                                                                             D-M G 01-2023

dimanche 23 avril 2023

Le Jour du Seigneur

 


Sur les réseaux sociaux une inquiétude grandit et se propage, celle de la fin des temps, alimentée par des prophéties comme celles de Malachie ou une lecture littérale des récits apocalyptiques des évangiles.

Il nous faut revenir à une constante de la révélation biblique : Dieu aime l’humanité et a envers chacun, chacune un plan bienveillant qui comble toutes les aspirations au bonheur et bien au-delà. Dieu ne peut se réjouir du malheur des hommes et les larmes de la veuve et de l’orphelin coulent sur les joues de Dieu. Mais notre bonheur ne peut se faire sans Dieu qui nous a créés pour vivre une grande intimité avec lui. La tentation originelle et permanente des humains est de croire que nous pouvons être heureux et vivre sans référence à Dieu, alors que, à chaque instant, nous dépendons de lui et recevons de lui la vie qui nous anime. Ce lien ayant été rompu, Dieu a donné sa loi à Moïse pour choisir et faire le bien et rejeter le mal, et le reconnaitre comme Dieu unique. Cette histoire avec son peuple fut chaotique, avec des rappels douloureux (exil, occupations…) et une attente grandissante d’un sauveur, fils de David, roi précurseur, qui les libérerait du joug romain.

Et ce fut l’annonce à Marie d’une grossesse engendrée par l’Esprit-Saint qui fait de cet enfant un enfant fils de Dieu, un enfant-Dieu, Jésus («Dieu sauve ») pleinement homme et pleinement Dieu. Cet enfant, né d’une femme, devient ce frère universel de toute personne humaine, et cela rendra Jésus présent en tout membre de l’humanité: «chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères (habiller, nourrir, visiter…) c’est à moi que vous l’avez fait » (mtt 25,34-40). Cette capacité divine de l’enfant-Dieu se manifestera dans les signes qu’il donnera de sa filiation divine mais aussi dans sa victoire sur le mal. Personne n’a pu endosser tant de violence et de haine sans cesser d’aimer et cela jusqu’à la mort. Sa réponse fut le pardon : « Père, pardonne leur ils ne savent pas ce qu’ils font » (luc 23,34). Un amour si fort qu’il accepte sa mort donnée si bien que cette passion et sa mort seront sa glorification. Le démon, qui avait tenté Jésus à trois reprises au désert (Luc 4,1-12), lui avait donné rendez-vous « au moment fixé »(luc 4,13) ce sera la passion; après avoir suscité un tel déchainement de haine menant à la mort de Jésus, il pensait vivre alors sa victoire complète mais il eut la tête piétinée par Marie, selon la prédiction du livre de la Genèse (Gen 3,15), la seule à conserver la foi en la vie, et il fut vaincu par la résurrection du Fils grâce à la puissance du Père. Si la naissance de Jésus fut la rencontre du ciel et de la terre, le baiser de Dieu à l’humanité, la Résurrection fut le déferlement de la réalité même de Dieu, cette explosion de sa puissance d’amour sur Jésus et en Jésus. Ce fut le Jour du Seigneur, la manifestation du projet de la bienveillance de Dieu de redonner à l’homme cette union à Dieu en Jésus, pleinement homme. En Jésus se manifeste l’homme restauré, recréé obéissant au projet divin de Dieu d’associer l’homme et l’humanité à son univers d’amour total. C’est Jésus le Grand Prêtre, le contributeur parfait et unique de ce projet.

Face à cela nous ne sommes pas spectateurs impuissants car il nous est proposé cette vie nouvelle par le baptême qui nous ouvre et nous donne cette communion divine, cette nouvelle naissance, que «la chair et le sang » ne peuvent procurer. Notre avenir à nous est de nous incorporer au Christ ressuscité; que le Christ vive en nous et que nous vivions en lui ! Pour cela il nous a donné le Pain de Vie qui peu à peu nous assimile au Christ et nous établit, au service de nos frères, en veilleurs des manifestations de Dieu dans notre monde.

Alors le grand jour du retour du Seigneur sera un jour de joie car il viendra tel qu’il est, feu d’amour purificateur qui consumera tout ce qui n’est pas pur amour en nous et dans le monde. Il fortifiera en chacun le bon grain et brulera l’ivraie, si bien que nous pourrons tous nous regarder sans honte ni rancœur ; le mal sera vaincu et extirpé en nous tous. Alors notre chant ne sera que louange au Seigneur trois fois saint, en compagnie des anges, des Principautés, des apôtres et des saints, les célèbres et tous ceux du quotidien.

                                     « Gloire à Dieu au plus haut des Cieux
                               et paix sur la terre aux hommes ses bien aimés ».
                                                                   Luc 2,14 traduction TOB

                                                                                                       D-M G 01-2023